ÉMILE SAVITRY
Un photographe de Montparnasse (1903-1967)
Au coeur de Montparnasse, face à l’académie de peinture de la Grande Chaumière, se niche le souvenir d’un photographe oublié: Émile Savitry. Son fils Paco en est aujourd’hui le dernier gardien.
Peintre d’abord, Émile Savitry, né Dupont, voit le jour à Saïgon en 1903, dans une riche famille d’industriels coloniaux. « Il avait plus d’une corde à son art », écrit Claude Roy en 1972: « Peindre, photographier, voyager (ne rien faire). Mais ce qui ne l’intéressait pas c’était de réussir ». C’est peut-être pour cette raison que son oeuvre est restée dans l’ombre.
Après des études à l’École des Beaux-Arts de Valence puis aux Arts Décoratifs de Paris, il expose ses toiles en 1929, à la Galerie parisienne Zborowski, présentées par Aragon qui rédige la préface du catalogue. L’exposition est un succès mais Savitry, grand ami des surréalistes Robert Desnos et Georges Malkine, le fuit à grandes enjambées. Il part avec Malkine dans les îles du Pacifique “sourire aux Maoris” et se consacre désormais à la photographie.
Revenu en France, quelques mois plus tard, il débarque sur le port de Toulon où il découvre le guitariste manouche Django Reinhardt qui joue avec son frère dans les cafés. Savitry les ramène à Paris pour leur faire connaître le monde du jazz.
LeTabou, la Rose Rouge, les boîtes de Pigalle mais aussi le café du Dôme et la Coupole où se retrouve tout ce que le Paris des années trente abrite d’artistes, d’écrivains, d’intellectuels venus du monde entier passent sous l’objectif de Savitry : Anaïs Nin, Pablo Neruda, Alberto Giacometti, Óscar Domínguez, Anton Prinner, Victor Brauner dont il accompagne l’installation dans son atelier de la rue Perrel , « dans ce quartier qui malgré son nom de Plaisance est le plus lézardé de Paris » écrit-il.
Il est un des leurs, parnassien de coeur (il résidera successivement rue Boulard et Bd Edgar Quinet) il fait à cette époque la connaissance du groupe Octobre: Les frères Prévert, Raymond Bussière, Paul Grimault, Marcel Duhamel, Lou Bonin. Une véritable amitié le lie à Jacques Prévert qui lui rendra hommage dans un poème inaugurant sa dernière exposition de peinture à Antibes en 1963.
Collaborateur dès 1933 de l’agence Rapho créée par Charles Rado avec Brassaï,Ylla et Ergy Landau, Emile Savitry, après guerre, aide Raymond Grosset à relancer l’agence à Paris, bientôt rejoints par Robert Doisneau et Willy Ronis.
Grand reporter à ses heures, il photographie les réfugiés venus d’Espagne qui se rabattent sur Perpignan après la chute de Barcelone en 1939.
Il est aussi photographe de plateau sur les films de Marcel Carné, ainsi il immortalise la toute jeune Anouk Aimée et le mauvais garçon Serge Reggiani dans La Fleur de l’âge en 1947, film maudit qui réunit Carné et Prévert à Belle-Île sur un tournage qui sera interrompu au bout de trois mois. On le verra sur quelques films comme Le Soleil a toujours raison (1941) de Pierre Billon, Lumière d'été (1942) de Jean Grémillon avec Madeleine Renaud et Pierre Brasseur et plus tard Échec au porteur (1958) de Gilles Grangier, mais ce sont ses photos de nus qui lui rapportent un véritable succès au Japon en particulier, il communique à travers elles “son émotion devant une attitude, un geste délicat ou simplement le rare bonheur d’avoir capté l’instant fugitif ou la lumière a joué sur un torse, un bras ou un corps”.
Après quelques années de collaboration avec les magazines de mode Vogue, Harper’s Bazaar, le Jardin des Modes, Emile Savitry retourne à la peinture qu’il n’a jamais vraiment abandonnée.
Quelques portraits encore de Charlie Chaplin, Edith Piaf, Brigitte Bardot à 18 ans, Colette puis... Surpris par la maladie, Emile Savitry “ouvrier sans spécialité de la vie” la termine comme il l’avait commencée, en peintre “trop vivant pour se vouloir artiste".
Sophie Malexis